A l'occasion du Premier Salon de l’Agriculture virtuel franco-russe, nous avons échangé avec notre consultante et interprète Olga Mojaeva. Diplômée de la prestigieuse école ESIT (Ecole Supérieure d’Interprètes et des Traducteurs) en spécialisation interprétation de Conférence, Olga Mojaeva intervient sur diverses missions d'interprétation simultanée et consécutive
dans des domaines très variés sur le marché privé : colloques et séminaires internationaux, forums d’affaires, négociations commerciales, ainsi que pour le compte des institutions internationales (UNESCO, Conseil de l’Europe, OCDE, OTAN…) et nationales (Ministère des Affaires Etrangères, Ministère des Finances, Ministère de la Culture…) et des missions bénévoles d'interprétation pour des ONG et des organisations humanitaires: FIDH, Reporters sans Frontières, AIDES, Amnesty International...). Olga nous raconte comment le contexte actuel a changé les modes d'interprétation et les échanges dans le monde de l'entreprise.
Comment le contexte actuel a influencé les réunions à l'international dans le monde de l'entreprise?
Au début, les entreprises étaient choquées. De nombreuses rencontres ont été annulées à cause de la fermeture des frontières et des restrictions des déplacements. Après une période de latence, quand les entreprises ont compris que cette situation allait durer, elles ont commencé à chercher des solutions.
Les besoins d’échanges existent toujours. Ainsi ils se sont déplacés dans la sphère virtuelle.
Aujourd'hui à côté des grands évènements internationaux qui ont lieu en mode visio-conférence - G20, le forum de Davos, le conseil Européen - d'autres formes d'échanges se sont développés en virtuel :
des Salons professionnels virtuels, des formations, des webinaires de présentation, des séminaires de motivation
("incentive programmes"). Il m'est arrivé récemment d'interpréter pendant une rencontre entre les régions en mode "speed dating d'entreprise", organisée par le Monaco Economic Board.
Aujourd’hui il existe déjà des formats très innovants. Pour palier au côté passif de ces évènements, certaines entreprises proposent même d'utiliser des avatars pour inciter les participants à participer à des conférences en ligne.
Comment les entreprises abordent-elles le virtuel ?
Le problème du virtuel est que les entreprises ont du mal à réaliser que ces évènements nécessitent aussi un investissement. Lorsqu'il s'agit des évènements physiques, les sociétés s’adressaient à une multitude de fournisseurs - agence de catering , hôtels, agence d'évènementiel - et in fine elles sont prêtes à consacrer un budget important pour la réussite de leur rencontre avec leur partenaire international.
Dans le monde virtuel, on a tendance à penser qu'un webinaire de 2 heures devrait être gratuit. Les entreprises n’ont pas encore confiance et ne sont pas prêtes de dépenser pour un évènement virtuel. Elles investissent moins dans le monde virtuel et seraient prêtes à revenir aux rencontres physiques dès que la situation s'améliore.
D'un autre côté, elles sont obligées d'améliorer leur expérience virtuelle. La réalité sera entre les deux. Car les formats virtuels vont se développer.
L'aspect géopolitique et culturel joue aussi. Dans la cabine russe, on sent qu'il y a moins de missions d'interprétation étant donné le contexte géopolitique qui a aggravé la situation sur le marché russe. D'autre part, les clients russes sont plutôt frileux du format virtuel. C’est un aspect culturel.
Quelles sont les particularités des réunions en virtuel ? Quel type d'interprétation est à privilégier lors de webinaires internationaux ?
Les réunions sont plus courtes. Tenir une journée est difficile. En général, les conférences importantes sont divisées en deux sessions de 2 à 3 heures maximum. Normalement la durée d'un évènement virtuel ne dépasse pas 2 heures.
Quant au type de l'interprétation, on s'adapte à tout.
Globalement les gens sont plus impatients devant leurs écrans qu’en présentiel. Ils s’attendent à une plus grande vitesse de la parole et ne se rendent pas compte que le débit est bien plus rapide que pendant une réunion physique.
C’est l’interprétation simultanée qui convient mieux dans le contexte virtuel. Car c’est immédiat et les gens ne sont pas prêts à attendre. Tandis que l’interprétation consécutive double la durée de l’évènement. De plus, lors de l'interprétation consécutive la moitié du temps les gens qui ne comprennent pas l’original s’ennuient. Au moins, lors des rencontres physiques, ils acceptent de patienter s’il y a des petits fours à côté...
Comment a évolué le métier de l'interprète ?
Il y a 15 ans l’interprète ne touchait pas à son poste, il appuyait juste sur un bouton dans sa cabine pour parler. Aujourd’hui l’interprète est obligé d’être un technicien.
On doit investir dans de nombreux équipements : microphone, casque, deuxième ordinateur, multiplexeur (mini-studio de sons, l'insonorisation). Il faut être équipé d’un micro USB avec de tels paramètres, sensibilité, impédance, directivité, avoir un micro-casque de qualité pour assurer une bonne qualité du son.
Aujourd’hui on peut aussi travailler de la maison. Cela nécessite de s'adapter. En général les missions d'interprétation simultanée sont assurées par deux interprètes qui se relaient toutes les 15 minutes environ. Avec le travail à distance, l'organisation change. Le coéquipier qui n’est plus dans la cabine. Il faut savoir "passer le micro à l’aveugle". Cela relève de l'adaptation technique, voire souvent de la débrouille.
Il existe aussi des plateformes d’interprétation professionnelles qui proposent un environnement de travail dans les meilleurs conditions. On peut citer par exemple la solution proposée par iBridge People, une société française qui propose des solutions d'interfaces spécifiques pour la collaboration entre les deux interprètes. Il s'agit des solutions indépendantes qui peuvent s’interfacer avec n’importe quel logiciel de visioconférence.
Qu'est-ce qui garantit le succès d'un évènement virtuel avec l'interprétation ?
Anticipation et collaboration ! L'anticipation car un tel évènement se prépare. Il y a un aspect technique qui ne doit pas être négligé. Le choix de la technologie est important. Il est possible bien sûr d'utiliser des solutions plus abordables comme Zoom mais il vaut mieux prévoir un bon support technique pour s'assurer que tout se passe bien en amont et pendant la réunion : connexion des participants, utilisation des micros, etc.
L'erreur la plus courante, c'est de négliger la qualité du son. Penser que si on vous entend à peu près c’est suffisant est risqué. L'interprète doit être dans les bonnes conditions pour entendre toutes les nuances d'un discours : chiffres, noms propres, etc. Pour cela, l'intervenant doit utiliser un bon micro. Tout ce que l’interprète n’entendra pas de l'orateur, il ne pourra le transmettre.
Mais ce qui est encore plus important c'est la bonne collaboration entre l'interprète et l'intervenant. L’interprète incarne le speaker. L'intervenant doit considérer l'interprète comme son coéquipier. Ainsi quand l’interprète demande d'être briefé en amont des réunions, de recevoir des documents qui serviront de support pendant la réunion, c’est pour garantir la meilleure qualité de l'interprétation et la satisfaction des participants.
*Différents type d'interprétation :
Dans l'interprétation consécutive, l'interprète reproduit l'intégralité du discours une fois l'intervention terminée, en utilisant un système de notes simples, souvent des signes (type pictogramme) si possible détachés d'un système linguistique. En raison des contraintes de temps, il est rare que cette technique soit utilisée lorsqu'il y a plus de deux langues actives.
Dans l'interprétation simultanée, l'interprète, à l'aide d'un dispositif technique, entend à travers des écouteurs le discours tout en traduisant oralement au fur et à mesure dans un microphone.
Le chuchotage
est une variante de l'interprétation simultanée sans dispositif technique. L'interprète suit les interventions en salle et traduit en chuchotant à l'oreille de son ou sa délégué(e).